En avant-propos, nous sommes bien conscients des débats sociétaux autour de la place et de l’image de la femme dans nos sociétés modernes. Aussi, nous tenons à préciser notre position, et à clarifier dans quelle dynamique s’inclue notre démarche. Loin de vouloir cantonner la femme dans un rôle d’objet, nous pensons qu’au contraire la Pin-Up et son évolution dans le temps, atteste de son émancipation.

Indémodable, la Pin-Up est tout à la fois femme-enfant, beauté fatale et surtout femme libre.

Loin d’exposer des corps simplement sexualisés, nous souhaitons célébrer la beauté féminine et le pouvoir de séduction qu’elle possède.

Elle est libre d’être, de paraître, et d’en jouer à sa guise.

A l’occasion du 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, véritable âge d’or de la Pin-Up, nous proposons de sortir du simple débat d’idée pour rentrer dans la réalité et la complexité de ce que fut la Pin-Up à l’origine et du symbole qu’elle incarne désormais.

C’est en 1895 que tout commença, avec les premières illustrations de Charles Dana Gibson. La « Gibson Girl » devint rapidement un nouvel idéal de beauté, une vision fantasmée de la femme parfaite, le composite des meilleurs atours de milliers de jeunes femmes américaines, et par conséquent inaccessible. Elle a une poitrine plantureuse et une taille de guêpe, un cou de cygne, des lèvres pleines et des cheveux noirs coiffés de façon précaire, mais miraculeusement épargnés par la pluie, le sable et tout autre désastre naturel. Mais le trait de génie de Charles Dana Gibson ne s’arrête pas à la silhouette parfaite de ces femmes illustrées, et repose en grande partie sur ce qu’elles évoquent de par leur maintien, et leur regard. La Gibson Girl est pleine d’assurance, sereine, elle pose sans crainte et laisse paraître la sensualité de ses lignes sans détourner le regard.  En quelques mots, elle est l’image que Charles Dana Gibson porte de la femme américaine moderne. Le succès de cette figure de beauté fut immédiat et rapidement les Gibson Girl apparaissent dans les journaux et dans certains magazines déjà prestigieux comme « Life Magazine » (1987). Dans une Amérique très accrochée à ses traditions, les hommes ont pour la première fois le fantasme féminin à portée de main. Et d’ailleurs, ne s’y trompant pas, la mode féminine de l’époque en sera changée. Les femmes commencent à porter des corsets, rehaussant la poitrine et amincissant la taille, pour imiter ces femmes fantasmées.

Cependant, la survenue de la Première Guerre mondiale va stopper net cette mode naissante, car voyez-vous, les femmes avaient plus important à faire que de porter des corsets contraignants – elles avaient un pays à faire tourner en l’absence de leur mari. Elles deviennent plus autonomes, et commencent à avoir accès à des travaux traditionnellement réservés à la gent masculine. Conséquence directe, elles veulent porter des vêtements plus pratiques et résistants.


C’est d’ailleurs avec la fin de la Gibson Girl et les dernières années de la Première Guerre mondiale que l’on peut identifier les prémices de la Pin-Up telle qu’on la connaît.

La « Division of Pictorial Publicity », de l’administration Wilson, réquisitionne l’ensemble des médias de l’époque pour encourager l’effort de guerre via une propagande d’un nouveau genre.

Dès lors sont éditées des publicités et affiches publiques mettant en scène des femmes américaines, aux poses évocatrices, encourageant les jeunes hommes à s’engager dans l’armée.

Au retour de la Grande Guerre, les soldats trouvèrent une société changée, les femmes n’étant pas prêtes à renoncer à la liberté qu’elles venaient de découvrir. Cette rébellion discrète apparaît dans la mode vestimentaire, le corset est démodé, les femmes s’habillent avec des habits moins couvrants et plus provocateurs.

Dans les années 1930, on voit apparaître dans la culture ce qui formera quelques années après le véritable début de la Pin-Up, notamment avec les illustrations de George Petty, les « Petty Girl ». Leur silhouette tout en longueur, avec ces jambes interminables, vont être placées en double page centrale du magazine Esquire, des dessins rapidement arrachés puis épinglés, accrochés, « pin-up », dans les casiers de toute l’Amérique. La véritable raison de ce succès immédiat repose sans doute sur le fait que les lecteurs de l’Esquire pouvaient replacer ces femmes si belles dans leur propre quotidien. Les Petty Girl posaient dans des scénarios de la vie quotidienne, bien qu’idéalisés, bavardant au téléphone ou allant à la plage.

La presse dans son ensemble suit le mouvement, et la Pin-Up envahit les Pulps et Comics. D’autres artistes se saisissent du sujet pour illustrer leurs propres visions de ces femmes séductrices, comme Alberto Vargas, avec ses « Vargas Girl » aéographées et publiées par le magazine Esquire. Sans oublier les « pin-up boys » de l’illustratrice Joyce Ballantyne, ou les œuvres de Pearl Frush et de Zoë Mozert.

Cette mode dépassera les frontières et les océans pour conquérir l’Europe continentale, et notamment la France avec la création en 1933 du magazine mensuel « Paris Sex-appeal ». Ce magazine, référençant les bonnes adresses parisiennes liées au monde de la nuit, ou encore les films ou photographies au caractère licencieux, capte son public en n’hésitant pas à mettre en pleine première page des portraits de femmes au regard séducteur. Parmi les artistes travaillant avec le magazine, on retrouve de grands noms comme Henri Falk, André Salmon ou encore André Warnod.

Cependant, il faudra attendre les années 1940, avec le début récent de la Seconde Guerre mondiale avant de voir employer le terme de Pin-Up. Les soldats qui partent pour le front amènent avec eux un petit bout de l’image de l’Amérique, l’image de cette femme souriante, malicieuse et réconfortante. Ces femmes illustrées devinrent des amies, des confidentes et une image de ce qu’ils se devaient de défendre. Se rappelant du succès de la campagne de propagande de la « Division of Pictorial Publicity », l’Amérique fera de la Pin-Up un véritable argument de recrutement et soutiendra activement l’édition de ces dernières à travers tout type de média : posters, affiches, publicités, calendriers…

Devenu une figure incontournable pour ces soldats, il n’est pas surprenant de voir qu’elle va aussi conquérir différents engins de guerre. Ainsi, va naître le « Nose Art », une forme de peinture spécifique aux bombardiers américains, mettant en scène une Pin-Up peinte sur le nez des avions comme mascotte et porte-bonheur.

Les années 1950 sont véritablement l’apogée de la Pin-Up, et pour couvrir cette période un nom s’impose naturellement à l’esprit celui de Gil Elvgren. Artiste au style reconnaissable entre tous, il travailla pour Brown & Bigelow, ses œuvres furent très largement vendues à des magazines, journaux, elles furent éditées sur des calendriers, des posters et cartes d’art. Partant de modèles en chair et os, il retouchait les photographies produites pour en affiner les traits et sublimer l’essence du modèle. Ainsi, les modèles et les scènes étaient un subtil mélange entre réalité et impossible, impossible et fantasme.

Cependant, les mœurs étaient en train d’évoluer, le public avait envie de voir de vraies photographies de femmes, et non plus des retouches dessinées. L’une des figures marquantes de cette transition fut Bettie Page, qui est sans nul doute la plus célèbre des Pin-Up.

Cette transition de média sera plus flagrante à partir de 1960/70 avec la suprématie de la photographie face à l’illustration classique. Hugh Hefner, fondateur et propriétaire du magazine PlayBoy, saura tirer pleinement parti de ce changement de paradigme artistique et culturel. S’appropriant l’aura de popularité de la Pin-Up, Hugh Hefner remodèlera cette image en repoussant les mœurs de son époque, et en publiant des photographies moins sages et plus explicites, menant l’Amérique dans une nouvelle ère de fantasme et d’imaginaire.

Cependant, la popularité des Pin-Up est loin d’être éteinte.

Favorisées par l’arrivée de nouveau média de communication, comme Internet, les Pin-Up résistèrent, et devinrent un phénomène de niche qui persiste de façon bien vivace. Ainsi, il existe diverses cultures alternatives caractérisées par cet attrait vers le vintage, vers les vêtements des époques 1950, et ses coiffures complexes et poses séductrices.

Seconde raison à cet intérêt renouvelé, les sociétés modernes imposent aujourd’hui une vision très hermétique de la beauté féminine, mettant l’accès sur la jeunesse des modèles et leur minceur. Ainsi, les journaux de mode et les publicitaires sont régulièrement critiqués comme faisant, malgré eux, l’apologie de cette minceur parfois proche de l’anorexie. Et nombre de femmes ne se reconnaissent que peu dans ces normes. Au final, la Pin-Up aux mille visages, avec son tour de poitrine généreux, ses longues jambes et ses cuisses pleines, reflète une norme alternative de beauté moderne.

Cette idée est d’ailleurs reprise par la mannequine Dita Von Teese, qui porte un message résolument actuel sur l’icône de la Pin-Up classique – l’image de la femme naïve et ingénue laisse place à celle de la femme forte, qui connait la beauté de son corps et qui use et abuse de son formidable pouvoir de séduction.

C’est dans ce contexte que nous souhaitons vous proposer une revisite de la belle époque de la Pin-Up dans un format unique de photographie proposé par un artiste au talent rare. Notre exposition rendra hommage à la Pin-Up des années 1940, prendra à contrepied les illustrations de 1950 (Gil Elvgren) et s’arrêtera à la fin des années 1960 avec l’arrivée des Playmates du magazine PlayBoys.

L’exposition mettra à l’honneur des modèles exclusivement amateurs, des « Girl Next Door », véritable essence de la Pin-Up séductrice, libre, fière et sure d’elle.


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